Mon enfant mange tout le temps la même chose ou presque rien…

Troubles des conduites alimentaires

Dr S Barret, psychiatre et Dr C Stordeur, pédopsychiatre ; Centre de Référence Maladie Rare – Anorexie Mentale à début Précoce – Centre d’Excellence Trouble du Neurodéveloppement – Hôpital Robert Debré – Paris

Lily, 6 ans, a toujours été un « poids plume ». Ses parents sont très inquiets. En effet, elle ne mange que : des chips, des coquillettes, une seule marque de biscuits au chocolat et parfois, un yaourt velouté framboise. Elle ne boit que du jus de pomme. Ils ont l’impression d’avoir tout essayé pour l’aider à manger d’autres aliments. Punitions, récompenses… rien n’y fait, Lily refuse systématiquement de goûter à quoi que ce soit de nouveau.

Adam, 8 ans, mange à peu près de tout, mais en toutes petites quantités. Il a souvent faim, réclame régulièrement à manger, mais dès qu’il a pris deux cuillères de pâtes, il est rassasié. Ses parents ne savent plus comment faire. Certes, il accepte de goûter de nouvelles choses, mange un peu, a une alimentation variée, mais il mange « moins que son petit frère de 3 ans ! » et ne reste « jamais plus de 5 minutes à table » expliquent ses parents.

Ces situations ne sont pas si rares, voici quelques informations et conseils qui nous l’espérons, vous seront utiles.

Le refus de manger « comme les autres » une alimentation diversifiée et d’accepter la variété et/ou le fait de « picorer » rendent la vie de famille difficile au quotidien. Par exemple : les repas en dehors de la maison, les séjours lors des vacances, les déjeuners à la cantine… Les parents se sentent souvent démunis et parfois jugés (« mauvais parent », « pas capable de faire manger son enfant »). Ils sont souvent inquiets pour la santé de leur enfant.

Après une consultation médicale, le diagnostic d’ARFID a été posé. Mais qu’est-ce que cela veut dire ?

Vous avez dit ARFID* ?

Cet acronyme anglo-saxon désigne un trouble du comportement alimentaire qui se manifeste par une difficulté persistante de l’enfant à couvrir ses besoins en énergie, en vitamines ou en minéraux avec ses apports alimentaires, associée à :

  • une perte de poids (ou une non prise de poids) significative
  • et/ou une croissance en taille qui ralentit ou s’arrête
  • et/ou un déficit en vitamines, en protéines, en fer
  • et/ou un besoin de prendre des compléments alimentaires oraux régulièrement

Le diagnostic d’ARFID n’existe officiellement que depuis 2013. Ce trouble reste ainsi mal identifié par les professionnels de santé et peu connu.

Il existe plusieurs types d’ARFID qui peuvent coexister. En voici trois exemples, abordés dans cette fiche :

  1. Les petits mangeurs, qui au bout de quelques chips n’ont déjà plus faim.
  2. Les sélectifs, qui mangent tout le temps les mêmes aliments (souvent par période, avec parfois un refus de l’aliment au bout d’un certain temps).
  3. Les néophobes, qui ne peuvent pas goûter à de nouveaux aliments (ni même voir ou sentir de nouveaux aliments), encore moins les manger. Un simple changement de marque de yaourt est alors impossible. Les sélectifs sont généralement néophobes.

*ARFID = Avoidant Restrictive Food Intake Disorder, soit en français Trouble de restriction/évitement de l’ingestion d’aliments

Attention à ne pas confondre: Autour de l’âge de deux ans et demi, il existe une phase normale dans le développement au cours de laquelle il est banal de refuser de manger de nouveaux aliments et de ne plus manger de tout (refus classique de certains légumes notamment). Pour la grande majorité des enfants, cela reste transitoire. Durant cette phase, ceux n’ayant pas de trouble alimentaire parviennent à manger un nombre suffisant d’aliments différents, couvrent leurs besoins nutritionnels, et cela n’a pas d’impact sur leur prise de poids. Ce n’est donc pas une maladie.

Manger, pour quoi faire ?

Vous pouvez expliquer à votre enfant que les repas ont plusieurs fonctions :

1. Avoir des apports en énergie et en nutriments (lipides, protéines, glucides vitamines, minéraux, fer) suffisants pour pouvoir :

a. Etre en bonne santé, se sentir plein d’énergie

b. Grandir (construire ses os, ses muscles)

c. Bien réfléchir, se concentrer à l’école

 

2. Être ensemble, que ce soit en famille ou avec des amis, partager un moment sympathique et convivial

Bien sûr vous adapterez vos explications à l’âge de votre enfant et à son niveau de compréhension.

Souvent, les repas avec les enfants ayant un ARFID sont décrits comme conflictuels par leurs parents, avec des conversations centrées sur ce que l’enfant n’a pas mangé. Les familles et l’enfant se disent fréquemment épuisés. Mais cela peut changer !

Est-ce du caprice ? Quelles sont les causes de ce problème ? Quelle évolution ?

Les refus alimentaires présentés par ces enfants ne sont pas de l’ordre du caprice, les punitions ne permettront pas d’améliorer la situation.

Les causes précises de ce trouble ne sont pas connues à l’heure actuelle. Elles sont probablement liées à des facteurs biologiques impliqués dans le développement du cerveau (plus d’information en bas de la fiche).

L’impact d’un trouble du comportement alimentaire de type ARFID est important pendant l’enfance. Très peu d’études sont disponibles concernant l’évolution des difficultés alimentaires de ces jeunes qui semblent perdurer plusieurs années.

Souvent, une prise en charge adaptée permettra une amélioration relative du comportement alimentaire au fil du temps. Les résultats sont généralement meilleurs avec une prise en charge précoce.

L’objectif est d’abord de prévenir la survenue de complications (c’est-à-dire corriger les carences éventuelles et surveiller la croissance) et de restaurer un climat plus apaisé autour des repas puis de modifier progressivement l’alimentation de l’enfant.

Mais alors, que faire ?

1. Une évaluation médicale et paramédicale :

# Être accompagné et s’informer lorsqu’on suspecte un ARFID chez son enfant. Un suivi auprès de plusieurs professionnel.le.s est souvent nécessaire.

# Dans un premier temps, consulter son médecin généraliste ou son pédiatre puis la collaboration avec un.e pédopsychiatre peut être précieuse, afin que le diagnostic d’ARFID soit formalisé et pour rechercher les troubles les plus fréquemment associés.

# Les orthophonistes, ergothérapeutes (formé.e.s aux troubles de l’oralité), et les diététicien.ne.s sont des intervenants clés dans la prise en charge.

# Les enfants ayant une symptomatologie d’ARFID peuvent également présenter d’autres pathologies médicales telles qu’un reflux gastro œsophagien, une constipation chronique, des intolérances ou allergies alimentaires, ou des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin.

# Lorsque le diagnostic d’ARFID est posé, la présence d’autres difficultés associées telles que : Trouble Déficitaire de l’Attention avec Hyperactivité (TDAH), Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA), Trouble Obsessionnel Compulsif (TOC), Trouble Anxieux et des troubles des apprentissages sera recherchée par un pédopsychiatre.

2. Prise en charge :

Peu d’études ont été menées sur le sujet pour le moment. Les grands axes de prise en charge sont :

# La rééducation alimentaire (avec un.e orthophoniste ou un.e ergothérapeute formé.e aux troubles de l’oralité).

# La correction des carences alimentaires, qu’un médecin pourra effectuer, avec si besoin l’aide d’une diététicienne.

# Le suivi de la croissance en taille et en poids par un médecin.

# La prise en charge des autres troubles potentiellement associés (comme un TSA ou un TDAH ou une pathologie digestive) est essentielle.

# Lors des entretiens, le médecin vérifie que votre enfant ne présente pas de souhait de perdre du poids, qu’il ne se perçoit pas comme trop gros (alors qu’il est maigre), ce qui évoquerait plus une anorexie mentale.

Si vous chercher des informations sur l’anorexie mentale de l’enfant, nous vous recommandons la lecture du document suivant :

https://www.clepsy.fr/reperage-et-prevention-de-lanorexie-mentale-chez-lenfant/

Et à la maison ? Que faire avec mon enfant ? Les grands principes :

1. Forcer un enfant à manger participe à l’aggravation du trouble.

Si cela vous est arrivé, n’ayez pas honte d’en parler avec un professionnel de santé. Lorsque l’on est confronté à un enfant pour lequel l’inquiétude concernant son poids est majeure, ce comportement peut sembler être une bonne option. Retenez cependant que le forçage entretient le refus de l’enfant vis-à-vis de la nourriture.

2. Favorisez au maximum une alimentation plaisir.

Effectuez avec votre enfant le choix des menus et cuisinez ensemble. Ceci permet de :

  • voir de nouveaux aliments et d’enrichir son vocabulaire (par exemple : nommer et reconnaître les légumes que l’enfant ne mange jamais)
  • favoriser le contact au toucher avec les aliments lors de la préparation des plats (on peut même organiser des ateliers « patouille » avec les enfants les plus jeunes pour manipuler et découvrir de nouveaux aliments, sans forcément les goûter au début)
  • de stimuler l’odorat des enfants (attention, il peut y avoir certaines aversions trop fortes, comme le fromage, et on veillera cependant à ne pas mettre trop en difficulté son enfant en commençant avec des aliments qui n’ont pas une odeur trop marquée)
  • de rendre ludique la préparation des plats et de relier la nourriture à des moments agréables et conviviaux

3. Ne pas culpabiliser par ce que votre enfant ne mange pas 5 fruits et légumes par jour !

Pour que votre enfant couvre au moins ses besoins nutritionnels en calories, acceptez que son répertoire alimentaire ne soit pas très étendu pour le moment et prévoyez à chaque repas des aliments que votre enfant pourra manger, en plus des « défis » autour des nouveaux aliments. Si besoin, votre médecin prescrira des vitamines pour corriger ou prévenir une carence.

4. Récompensez tous les efforts effectués, même le plus petit effort.

# L’usage d’un tableau à point ( https://www.clepsy.fr/motiver-les-changements-le-tableau-a-point-ou-systeme-d-economie-de-jeton/) avec des objectifs et des récompenses adaptés à l’âge de votre enfant et à vos valeurs de parents pourra permettre de récompenser les efforts fournis.

# Les objectifs sont à choisir de manière à être facilement atteignables par l’enfant (c’est-à-dire très proches de ce qu’il fait déjà).

# Dans un premier temps, accepter de regarder puis sentir puis toucher un aliment sera en soi un effort pour lui.

# Dans un second temps, il pourra être convenu avec votre enfant qu’un aliment soit gouté lors des repas, en petite quantité (¼ de cuillère à café). Il sera important de commencer par des aliments que l’enfant estimera être parmi les plus simple des nouveaux aliments et d’effectuer le choix ensemble. Le but annoncé sera d’essayer de le manger (le garder dans la bouche, le mâcher plusieurs fois puis de l’avaler).

ATTENTION : il n’est pas recommandé de forcer votre enfant à atteindre cet objectif. S’il n’y parvient pas, c’est que l’objectif était trop élevé. Essayez initialement avec des aliments très proches de ceux qu’il arrive déjà à manger.

# Fractionner les repas permet d’aider les petits mangeurs à augmenter les quantités de nourriture prises, avec, par exemple des collations le matin et l’après-midi à l’heure des récréations.

# Il n’y a pas une seule bonne façon de bien nourrir son enfant, ni de recette magique pour aider les enfants ayant un ARFID à mieux manger. Les techniques utilisées seront à adapter au fil du temps, de même que les objectifs et les récompenses. Cependant, les grands principes resteront les mêmes.

Pour en savoir plus :

1. S’il s’agit bien d’un trouble du comportement alimentaire, l’ARFID n’est pas de l’anorexie mentale, c’est très différent.

Les enfants ayant un ARFID sont souvent gênés par leur faible poids et ses conséquences (petite taille, maigreur…), ils ne se sentent pas gros, sont demandeurs de pouvoir prendre du poids ou n’y sont pas opposés. Ils sont aussi prêts à manger des aliments caloriques pour y parvenir. Une étude suisse retrouvait que 3,2% des enfants scolarisés en école primaire rapportaient des symptômes d’ARFID. Les patients suivis pour ARFID sont plutôt jeunes, avec une plus grande proportion de garçons.

2. Les hypothèses concernant les mécanismes en jeu dans l’ARFID :

# Pour les petits mangeurs, l’hypothèse est celle d’un intérêt faible pour la nourriture ou d’un seuil de satiété (quand on n’a plus faim) atteint beaucoup plus vite que dans la population générale.

# Pour les néophobes, l’hypothèse principale est celle d’un évitement lié à une sensibilité plus forte que dans la population générale à de faibles variations de goût ou d’odeur (que la famille souvent, ne perçoit même pas).

Ces mécanismes peuvent se chevaucher dans le temps.

# Nous ne traitons pas dans cette fiche d’un troisième mécanisme en lien avec la peur de vomir ou de s’étouffer en mangeant etc… Cette problématique sera traitée ultérieurement.

3/ La prise en charge prend en compte ces deux grandes règles :

# Tout comportement qui aura des conséquences positives pour l’enfant aura tendance à se répéter.

# Un aliment nouveau doit pouvoir être goûté 8 à 10 fois en moyenne avant de pouvoir être toléré par l’enfant (pour s’y habituer).

4. Votre enfant présente en plus de ses difficultés alimentaires, un trouble du spectre autistique et/ou une déficience intellectuelle, vous pouvez compléter votre lecture avec la fiche suivante rédigée par nos collègues orthophonistes :

https://www.clepsy.fr/autisme-et-ou-deficit-intellectuel-comment-gerer-les-difficultes-alimentaires/

Références bibliographiques 

[1] Brigham KS, Manzo LD, Eddy KT, Thomas JJ. Evaluation and Treatment of Avoidant/Restrictive Food Intake Disorder (ARFID) in Adolescents. Curr Pediatr Rep 2018;6:107–113.

[2] Bryant-Waugh R. Avoidant/Restrictive Food Intake Disorder. Child Adolesc Psychiatr Clin N Am 2019;28:557–565.

[3] Katzman DK, Norris ML, Zucker N. Avoidant Restrictive Food Intake Disorder. Psychiatr Clin North Am 2019;42:45–57.

[4] Milano K, Chatoor I, Kerzner B. A Functional Approach to Feeding Difficulties in Children. Curr Gastroenterol Rep 2019;21. doi:10.1007/s11894-019-0719-0.

[5] Thomas JJ, Wons OB, Eddy KT. Cognitive–behavioral treatment of avoidant/restrictive food intake disorder: Curr Opin Psychiatry 2018;31:425–430.

[6] Bryant-Waugh R. ARFID Avoidant Restrictive Food Intake Disorder: A Guide for Parents and Carers

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