Comment le cerveau de l’enfant apprend-il à lire ?

Rédigé par Dr Elie Khoury, Pr Hugo Peyre (pédopsychiatres), Mme Valérie Lartot-Pierquin (orthophoniste) et Mme Moran Iquel (enseignante spécialisée) – Centre Référent des Troubles du Langage et des Apprentissages - Centre d’Excellence InovAND, Hôpital Robert Debré, Paris

A l’instant même où vous lisez cette fiche, sans vous en rendre compte, votre cerveau est en train d’accomplir une prouesse : il transforme en direct, un ensemble restreint de symboles visuels en un nombre infini d’idées. C’est ce qu’on appelle le langage écrit. Son invention a permis une transmission des idées et de l’information de manière intemporelle.

Le langage écrit, c’est deux facettes : la lecture et l’écriture. C’est le passage du code écrit au code oral, et vice-versa. Un lecteur expert (c’est le cas de la majorité des adultes qui ont automatisé la lecture) est capable de lire jusqu’à 200 mots par minute (c’est pratiquement le rythme de la parole !), de façon fluide, précise et expressive, avec une compréhension quasi-instantanée. Mais tout cela se fait au prix d’un apprentissage scolaire rigoureux (lointain souvenir pour la plupart) et grâce à une mécanique cérébrale complexe.

Alors que le langage oral était déjà utilisé par les premiers hommes, l’écrit est arrivé beaucoup plus tard. Les premiers Homo sapiens sont apparus il y a plus de 200 000 ans, alors que les premiers systèmes d’écriture (les cunéiformes puis les hiéroglyphes) ont « seulement » 5000 ans d’âge. Phénomène trop « récent » à l’échelle de l’évolution, pour qu’il puisse entrainer des modifications de nos gènes qui feraient que l’on naitrait avec la capacité d’acquérir spontanément la lecture comme nous acquérons la marche ou la parole.

Dans cette fiche, nous vous expliquons comment le cerveau de votre enfant apprend à lire. Et c’est sur ces connaissances que se basent aujourd’hui les grands principes de la pédagogie de la lecture et de l’écriture dans le milieu scolaire, mais aussi les prises en charge orthophoniques des enfants présentant des troubles de l’apprentissage de la lecture, comme la dyslexie.

 

Un cerveau qui s’adapte

Les circuits cérébraux sont déterminés par les gènes mais sont capables de se modifier en fonction des contraintes environnementales. C’est ce que l’on appelle la plasticité cérébrale et elle se manifeste surtout au niveau des réseaux de synapses (les connexions entre les cellules cérébrales). Cette plasticité est maximale dans l’enfance, période à laquelle le cerveau est doté d’une importante réceptivité et d’une adaptabilité aux entrées de l’environnement, et elle est responsable de la capacité de l’enfant à apprendre. Elle est d’autant plus prononcée que l’environnement de l’enfant est riche, stimulant et riche en émotions positives qui renforcent ses apprentissages.

 

Un circuit de la lecture

L’invention de l’écriture a donc constitué une nouvelle « contrainte environnementale » à laquelle notre cerveau a dû s’adapter en remaniant certaines de ses structures pour nous permettre de « craquer ce code écrit » (pour reprendre les termes de Ziegler). L’hypothèse la plus reconnue aujourd’hui, pour expliquer comment le cerveau de l’homme apprend à lire (sans justement devoir attendre des modifications génétiques pendant des dizaines de milliers d’années), est celle dite du « recyclage neuronal », largement étudiée par Stanislas Dehaene. C’est la capacité du cerveau, grâce à sa plasticité, à faire du neuf, avec du vieux. Dans le cas spécifique de la lecture, le cerveau a reconverti une région postérieure (appelée le gyrus fusiforme gauche, située près du cortex visuel), initialement destinée à la reconnaissance visuelle de formes naturelles, pour qu’elle soit capable de reconnaitre des formes légèrement différentes : les lettres. Elle a donc été rebaptisée « aire de la forme visuelle des mots ». Ensuite, le cerveau connecte cette aire avec le circuit déjà existant du langage oral, pour que ces lettres soient traitées comme du langage.

 

Un apprentissage structuré

1/ Avant tout, l’importance du langage oral :

Pour apprendre à lire, l’enfant doit donc d’abord développer son langage oral :

  • En enrichissant son vocabulaire, sa syntaxe, ses capacités de compréhension et plus globalement, ses connaissances générales sur le monde.
  • Mais aussi, en « retenant » la forme sonore des mots. C’est ce qu’on appelle les représentations phonologiques, une sorte de bibliothèque audio de tous les mots qu’il connait. On verra ci-dessous qu’elle lui sera très utile pour lire ces mêmes mots à l’écrit.

2/ Ensuite un apprentissage explicite :

Dans un second temps, l’enfant doit apprendre les bases de la lecture avec le soutien d’un maître qui lui enseigne les règles explicites du décodage du code écrit : 

# Le principe alphabétique : l’enfant apprend qu’à chaque son de la langue française (les phonèmes, ex. /f/) correspond une lettre ou un groupe de lettres à l’écrit (les graphèmes, ex. [f] ou [ph]) et vice-versa.a

# La conscience phonologique : l’enfant apprend à identifier et manipuler ces unités élémentaires. Ex : reconnaitre que « chat » et « chose » commencent par le même son, faire des rimes, supprimer le phonème initial de « champion » pour obtenir « -ampion ».

# La conversion graphème-phonème : l’enfant apprend les règles de correspondances entre graphèmes et phonèmes mais aussi leurs redondances (Ex. [o], [au], [eau], [ot] se prononcent tous /o/), leurs équivoques (Ex. le [c] peut se prononcer /k/ ou /s/ selon le contexte) et leurs irrégularités (pour des mots comme « femme » ou « monsieur »).

# L’assemblage : l’enfant apprend à assembler les phonèmes qu’il a converti en une séquence phonologique entière, le mot (Ex. /ch/+/a/+/p/+/o/ /chapo/).

L’enfant retrouve alors la forme sonore de ce mot qu’il vient de lire dans son lexique phonologique (sa bibliothèque audio) et confirme l’efficacité de son décodage. En plus, il retrouve le mot dans son vocabulaire et y associe un sens, ce qui permet une vérification supplémentaire de son décodage.

 Il crée donc une représentation orthographique du mot, qu’il associe à sa forme sonore. Ainsi, essai après essai, ce circuit de la lecture, et le processus de décodage qui en dépend, sont renforcés.

NB : Bien que cet apprentissage comporte plusieurs étapes, l’enfant ne maîtrise pas une étape après l’autre, mais les acquisitions se développent de manière concomitante en se renforçant les unes les autres, au fur et à mesure de leur développement.  

3/ Et ensuite, un auto-apprentissage :

Une fois que l’enfant aura maitrisé les règles de conversion graphème-phonème, il pourra les appliquer seul pour retrouver à l’écrit des milliers de mots qu’il connait à l’oral. Il aura donc de plus en plus d’occasions de lecture authentique et autant d’opportunités de renforcer et d’automatiser ses compétences de décodage.

Au fur et à mesure, l’enfant enrichit son stock orthographique (son répertoire mental contenant les associations de lettres qu’il rencontre souvent et même des mots entiers fréquents) grâce auquel il va pouvoir lire en reconnaissant des morceaux de mots ou même des mots entiers. Son décodage gagne donc en précision et en rapidité, jusqu’à devenir quasi-automatique. Ce qui lui permet donc de libérer ses ressources attentionnelles au service de la compréhension.

Un cercle vertueux se met ainsi en place : plus ce processus de décodage devient automatique, plus l’enfant pourra lire aisément, et, plus l’enfant s’expose à la lecture, plus il automatise le décodage. 

 

Une pédagogie de la lecture

L’enseignement des correspondances graphème-phonème a fait ses preuves comme méthode de base d’apprentissage de la lecture. Les études montrent un lien direct entre le temps consacré à cet enseignement et le niveau de lecture des élèves en fin de CP.

A cette fin, ce temps peut être prolongé à la maison avec les parents en reprenant les leçons de reconnaissance et conversion de graphèmes (lecture) et de phonèmes (transcription), mais aussi à travers certaines applications numériques ludiques sur tablettes et téléphones portables (à titre d’exemple, l’application GraphoGame disponible gratuitement), en complément de l’enseignement reçu en classe (ou du travail fait en rééducation orthophonique).

En conclusion, la pédagogie de la lecture doit donc être structurée, intensive et précoce :

# Son socle est l’enseignement du décodage : principe alphabétique, conscience phonologique, conversions graphème-phonème et assemblage.

# Ensuite, sa consolidation passe par l’automatisation du décodage et l’enrichissement du stock orthographique qui favoriseront la compréhension en déchargeant les ressources cognitives de l’enfant. A ce stade on apprend également à l’enfant à dégager les racines des mots (ex. retrouver « jardin » dans « jardinerie ») et faire des dérivations, ex. « une femme qui chante est une… ». Ce qui va permettre à l’enfant d’enrichir d’autant plus son vocabulaire, d’améliorer ses compétences de lecture, et par la suite ses capacités de compréhension écrite.

# Et enfin, au sommet de cet apprentissage, l’enfant parviendra à une lecture fluente, sans erreurs, rapide, expressive et qui a du sens. Il pourra être aidé, pour ce faire, par des exercices de lecture répétée à voix haute.

 

Bibliographie

Johannes C Ziegler. L’art de lire et d’enseigner la lecture. O. Houdé & G. Borst. Le cerveau et les apprentissages, collection “ Les repères pédagogiques ”, Nathan, 2018.

Dehaene S, Mécanismes cérébraux de la lecture. Collège de France, sixième cours : les mécanismes cérébraux de l’apprentissage de la lecture et de la dyslexie.

Les neurones de la lecture – Editions Odile Jacob (Dehaene S, 2007).

Traité de neuropsychologie de l’enfant – 2nd Ed. De Boeck Supérieur (Mottron L, 2020).

 

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