La pragmatique du langage dans le TSA: comprendre et reconnaitre les conséquences au quotidien ?

Rédigé par Céline Bestoso (Orthophoniste), Elise Humeau (Psychiatre), Andréa Koch (Psychologue), Valérie Vantalon (Psychiatre)

Les habiletés sociales et la pragmatique permettent d’utiliser et d’adapter son langage dans un contexte social auprès d’un interlocuteur pour communiquer. Pour interagir verbalement avec une personne, il est d’abord nécessaire de disposer de capacités de langage suffisantes. Celles-ci vont permettre d’entrer en interaction avec les autres. On parle alors de langage formel (cf fiche bilan orthophonique). Mais, si avoir du vocabulaire et faire des phrases correctes est évidemment essentiel à la communication, cela ne suffit pas. D’autres éléments contribuent au bon déroulement de l’échange. C’est ce qu’on appelle les habiletés sociales. Ce sont des compétences verbales et non verbales nécessaires à la communication.

Les difficultés pragmatiques présentées par les personnes ayant un Trouble du Spectre de l’Autisme sans déficience intellectuelle (TSAsdi) passent parfois inaperçues en milieu ordinaire. Toutefois, elles peuvent impacter leur quotidien.

 

Quels sont les ingrédients pour une bonne communication sociale ?

1. Le langage élaboré

2. Les habiletés conversationnelles

3. La communication non verbale

4. L’identification des émotions

5. La théorie de l’esprit

 

1. Le langage élaboré

a. Le langage implicite

Le langage implicite désigne tout ce qui n’est pas dit explicitement ou clairement. Décoder le langage implicite nécessite de décoder les intentions de son interlocuteur dans un contexte donné. Certains enfants ou adolescents présentant un TSAsdi ont des difficultés dans cet aspect de la communication:

Lorsque sa maman demande à Fatoumata “peux-tu me passer le sel ?”, Fatoumata lui répond “oui” mais elle ne lui donne pas le sel car elle n’a pas décodé la demande implicite de sa maman qui était “passe-moi le sel s’il te plaît”.

Les textes et consignes scolaires sont remplis de phrases implicites. Il faut alors raisonner pour trouver et comprendre une information qui n’est pas écrite dans le texte de façon explicite.

 

b. La polysémie

La polysémie décrit le fait qu’un mot ait plusieurs sens. Elle nécessite de faire un choix entre les différents sens possibles, en fonction du contexte. Cette incertitude peut entraîner des erreurs d’interprétation.

Paul se rend chez le médecin pour sa visite médicale. Le médecin l’ausculte. Lorsque la consultation est terminée, Paul dit au médecin : “Tu ne me fais pas visiter ?”. En effet, Paul avait compris qu’il allait “visiter” le cabinet médical.

 

c. Les expressions figurées

Les expressions figurées peuvent être source de difficultés car elles jouent sur l’image et supposent d’être interprétées, non pas au pied de la lettre, mais au second degré.

En rentrant chez lui, Baptiste court se regarder dans la glace d’un air inquiet. Son papa lui demande ce qui lui arrive. Baptiste est inquiet car, alors qu’il parlait de son sujet favori (les avions), un camarade de classe lui a dit qu’il avait “la grosse tête”.

De même, les textes étudiés en classe et les textes littéraires au collège et lycée sont remplis de métaphores (ex. “être dévoré par les remords”), dont la compréhension peut être difficile.

 

d. L’ironie

L’ironie est une forme d’humour qui consiste à dire l’inverse de ce que l’on pense. Elle est très difficile à identifier car elle suppose d’analyser le contexte, l’intention, voire l’émotion de la personne qui parle, et tous les indices tels que l’intonation de la voix, les gestes et le regard.

Emma est étonnée lorsque sa mère lui dit, après l’avoir attendu longtemps : “Merci beaucoup d’être à l’heure!”

“La maîtresse corrige une dictée, elle s’adresse à la classe, rappelle une règle de grammaire mal retenue et elle demande « Combien de fois dois-je vous le répéter?”, Arthur a pris cette remarque pour une vraie question et lui a répondu “une fois madame”, ce qui a fait rire les autres. Depuis, Arthur passe pour un élève provocateur.

 

2. Les habiletés conversationnelles

Dans un échange verbal, les participants suivent des règles, de manière à avoir une conversation, parmi lesquelles on retrouve :

– Le tour de parole

– Les stratégies pour débuter, maintenir ou finir un échange

– Le respect du sujet de la conversation (le choix du thème, éventuellement son changement)

– Les routines conversationnelles (ex. salutations, formules de politesse)

Une méconnaissance ou une mauvaise utilisation de ces codes peut entraîner une rupture du dialogue à travers un sentiment d’incompréhension ou de gêne. Il est également important de savoir s’adapter au contexte, à l’interlocuteur (ex. son âge, le degré de familiarité entre les personnes, ses croyances ou connaissances, le point de vue qu’il a sur la situation).

Julia est passionnée de musique. Elle aime en parler. Dès qu’elle est lancée sur ce sujet, elle ne s’arrête plus de donner des exemples ou des anecdotes concernant la musique. Elle en parle encore et encore, monopolise la conversation, sans se soucier de l’intérêt de son interlocuteur.

Karim est très malhabile pour initier une conversation. Lorsque ses amis sont en train de parler, il leur coupe la parole pour parler d’une chose qui n’a rien à voir.

Malia emploie souvent des mots compliqués et ne s’adapte pas au contexte familier ou à l’âge de ses interlocuteurs. Ses amis ne la comprennent pas toujours.

 

3. La communication non verbale

La communication non verbale implique tout ce qui n’est pas verbal mais qui a une valeur expressive et qui participe à la communication. Elle comprend :

a. Le contact visuel

Les personnes présentant un TSA ne modulent pas toujours bien le regard : certaines d’entre elles ont un regard très évitant, d’autres le regard un peu fixe.

Jocelyn est dans la cour de récréation et il y a beaucoup d’élèves autour de lui. Il est en train de parler de l’un de ses intérêts à un camarade de classe mais Jocelyn ne le regarde pas. Son camarade de classe ne l’écoute donc pas, ne sachant pas que Jocelyn s’adresse à lui.

b. Les expressions faciales

Les mimiques des personnes présentant un TSAsdi sont parfois peu variées ou inadaptées à la situation émotionnelle.

Emma raconte à sa copine qu’elle a perdu son chat la semaine dernière, avec un air souriant. Pourtant elle ressent bien de la tristesse mais son expression faciale n’est pas toujours révélatrice de ses émotions.

c. Les gestes du corps

Dans une conversation, la gestuelle est très importante car elle apporte des informations supplémentaires. Les personnes présentant un TSAsdi ont parfois une gestuelle un peu réduite. Elles ne « parlent pas avec les mains ».

Samuel explique ce qu’il a fait lors de ses dernières vacances. Il a essayé une activité peu connue de son ami. Samuel n’utilise pas de gestes accompagnant son histoire afin que son interlocuteur comprenne davantage ses explications.

d. La posture et la distance interpersonnelle

Il s’agit des postures du corps et des distances physiques entre les deux personnes.

Mathieu s’approche toujours trop près de ses copains pour leur parler, ce qui peut les agacer ou les mettre mal à l’aise.

 

e. L’intonation de la voix (prosodie)

Chez les personnes présentant un TSAsdi, l’intonation de voix peut paraître “plaquée”, monotone, ou inadaptée au contexte.

Gena a vu au zoo son animal préféré, elle dit à son cousin que “c’était le plus beau jour de sa vie”, avec un ton très sérieux. Son cousin ne comprend alors pas très bien si finalement elle était heureuse ou non.

 

4. L’identification des émotions

Reconnaître les émotions (chez soi et chez l’autre) est essentiel pour se comprendre. Les personnes présentant un TSAsdi peuvent avoir des difficultés à interpréter les émotions des autres et ainsi comprendre ce qu’ils pensent et s’y adapter. Elles peuvent par exemple se mettre à rire quand quelqu’un se fait mal, minimiser la situation ou la dramatiser.

Nadia a des difficultés à remarquer la tristesse chez les autres. Elle ne la repère que si elle voit des larmes qui coulent sur leur visage. Elle ne remarque pas les signes plus légers (ex. air triste, tremblement de la voix, regard au sol etc…).

 

Il leur est également parfois difficile d’identifier, de réguler et d’exprimer leurs propres émotions. Il s’agit par exemple de sourire quand on est heureux, pleurer quand on est triste ou encore faire une grimace en rapport à une odeur désagréable.

Paul-Timéo ne comprend que tardivement que les tremblements qu’il ressent et son visage qui s’échauffe sont des signes de colère. Il reçoit ainsi la colère de manière brutale sans pouvoir la nommer ni prendre du recul face à cette émotion négative et envahissante.

 

5. La théorie de l’esprit

 

a. Définition

La théorie de l’esprit est la capacité à déduire les états mentaux des autres tels que les désirs, les émotions, les pensées et les croyances. On distingue deux niveaux de théorie de l’esprit :

Celle de 1er ordre est la représentation que l’on a de l’état mental d’une personne en adoptant le point de vue de cette dernière (acquise vers un âge de développement de 4-5 ans).

Virginie et Quentin sont dans la cuisine. Ils viennent de finir leur goûter et rangent le chocolat restant dans le placard vert. Quentin rejoint ensuite ses amis qui jouent au foot. Pendant ce temps, Virginie change le chocolat de place et le range dans le placard rouge. Lorsque Quentin revient, il veut manger du chocolat à nouveau. Où va-t-il le chercher ?

Celle de 2e ordre (acquise vers un âge de développement de 7 ans) est la représentation mentale qu’une personne a sur les croyances d’une autre personne. Cela nécessite donc d’adopter deux points de vue simultanément.

Nour joue avec sa sœur. Soudain, leur petit frère arrive en courant, Nour voit sa sœur mettre le jouet en hauteur. Nour comprend que sa sœur a eu peur que son petit frère casse le jouet et l’a mis en hauteur pour éviter qu’il ne le prenne.

 

b. Le “filtre” social

Les personnes avec un TSAsdi ont tendance à paraître “trop honnêtes”.

Si le père de Mathias lui demande si c’est lui qui a fait tomber l’ordinateur, il reconnaîtra que c’est lui. En principe, il devrait se rendre compte que son père n’a pas assez d’informations pour le vérifier car il n’était pas présent au moment où cela s’est passé.

Il peut aussi leur être parfois difficile de comprendre que certaines remarques puissent être blessantes. Ils ne vont pas forcément “filtrer” leur discours.

A l’école, on dit souvent qu’Aloys “dit tout fort ce qu’il pense”. Hier, il a dit à Malik “je trouve que ton chien est vraiment moche”, sans imaginer que cela puisse blesser son ami.

 

c. Décoder l’intention des autres

Les personnes avec TSAsdi peuvent également avoir tendance à mal interpréter les intentions des autres et montrer alors une réaction inadaptée au contexte.

Face à un camarade qui le bouscule en trébuchant, Olivier va alors le frapper, pensant que ce dernier l’a fait de manière intentionnelle.

 

Conclusion

Au travers des exemples donnés, ont été illustrées les difficultés sociales que peuvent rencontrer les enfants et adolescents présentant un TSAsdi au quotidien et notamment à l’école. Ces difficultés résultent d’un déficit dans la pragmatique et les habiletés sociales. Il est important de rappeler que ces difficultés ne sont pas en lien avec un déficit intellectuel, un comportement intentionnellement provocateur ou un manque d’éducation, elles sont le reflet de difficultés qui passent bien souvent inaperçues dans un premier temps. Les identifier permet de comprendre le mode de pensée et les réactions émotionnelles et comportementales de ces enfants/adolescents et d’éviter des jugements trop hâtifs ainsi que des préjugés.

« Vous pouvez avoir un prix Nobel et ne pas savoir dire bonjour de manière socialement adaptée ». (J.Schovanec, 2012)

 

Références

Ahade. S., & Corato, C. (2018). Les groupes d’entraînement aux habiletés sociales pour les personnes présentant un TSA. Le journal des psychologues 2018/1 (n°353), p. 34-39. https://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2018-1-page-34.htm

 

Attwood. T. (2010). Chapitre 5. Théorie de l’Esprit (Theory of Mind – ToM) », dans : Le syndrome d’Asperger. Guide complet, sous la direction de Attwood Tony. Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, « Questions de personne », 2010, p.125-143.

 

Bon. L., & al. (2016). Cognition sociale et autisme : bénéfices de l’entraînement aux habiletés sociales chez des adolescents présentant un trouble du spectre de l’autisme. Revue de Psychologie 2016/1 (volume 8), p. 38-48. https://www.cairn.info/revue-de-neuropsychologie-2016-1-page-38.htm

 

Des liens pour travailler la pragmatique du langage et les habiletés sociales :

Les fiches pratiques de Robert Debré

Les groupes d’habiletés sociales, Fiche 1.

Les groupes d’habiletés sociales, Fiche 2.

Stratégies pour stimuler la communication et la pragmatique du langage

 

Gray. C., Les bases de la communication http://edumedia.free.fr/manuelC2C3CH1.pdf

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