Comment vivre avec une sœur ou un frère qui souffre d’une anorexie mentale ?

Troubles des conduites alimentaires
anorexie

Lucile Noël (psychologue, thérapeute familiale), Dr Vincent Trebossen et Dr Coline Stordeur (pédopsychiatres)

Centre de Référence Maladie Rare Anorexie Mentale à début précoce – Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent – Centre d’excellence des troubles du neurodéveloppement, Hôpital Robert Debré, Paris, France.

Avoir un frère ou une sœur qui souffre d’anorexie bouleverse profondément la vie familiale. C’est une source de stress, d’angoisse et peut faire éprouver un sentiment d’impuissance. Il est difficile de comprendre une maladie psychique, d’autant plus quand ce qui pouvait sembler simple (s’alimenter) devient une source d’inquiétudes et de disputes… pour l’enfant/adolescent souffrant mais aussi pour ses parents et sa fratrie !

L’impact de l’anorexie sur les frères et sœurs est certain, il est donc important de les prendre en compte dans la prise en charge globale de cette maladie complexe.

1. Les informer : comment ? Par qui ?

Les frères et sœurs, y compris très jeunes, ont besoin d’informations claires et précises qui répondent à leurs questionnements. Ces informations doivent être adaptées à leur âge et à leur niveau de compréhension.

Une information précise sur l’anorexie mentale, donnée par exemple lors d’entretiens familiaux ou des groupes de parents animés par une équipe spécialisée, peut permettre à tous les membres de la famille de faire la différence entre ce qui appartient au tempérament de l’enfant malade d’une part et, d’autre part, ce qui appartient aux comportements et aux cognitions anorexiques. En effet l’agressivité, l’irritabilité, les comportements « manipulateurs » autour de l’alimentation sont autant de comportements que l’enfant malade subit autant qu’il les fait subir à son entourage.

« Externaliser » l’anorexie, c’est-à-dire en parler à la troisième personne (« la maladie », « l’anorexie », etc…) peut permettre cela. Le responsable des comportements et pensées autour de l’alimentation n’est donc plus l’enfant mais la maladie. Cela permet à la fratrie de ne pas se tromper de « coupable » et de rediriger ses sentiments négatifs, dont la colère, contre la maladie et non contre l’enfant malade.

Les séances de thérapie familiales et les entretiens médicaux sont l’occasion de poser des questions sur l’anorexie et d’apprendre.

2. Les impliquer : oui mais pas trop !

Ne demandons pas aux frères et sœurs d’être en charge de l’alimentation de leur sœur/frère malade !

Leur « mission » pourra être, par exemple, d’avoir une attitude permettant que les repas se déroulent dans un climat de convivialité et de partage.

Nous déconseillons aux membres de la fratrie d’aborder avec leur sœur/frère certains sujets comme leur poids, les aliments, les calories ou leur silhouette. L’objectif est d’éviter que la fratrie ne soit « prise au piège » par la maladie et de préserver les relations fraternelles.

Les échanges avec la fratrie, lors des entretiens familiaux, sont l’occasion d’échanger avec les membres de la famille sur les attitudes à adopter dans le respect des valeurs familiales.

3. Prendre soin de la fratrie

Il est important de pouvoir prévenir la moindre disponibilité des parents à l’égard de la fratrie durant les périodes d’hospitalisation ou de soins plus importants et d’amener les parents à réfléchir aux aménagements (avec les grands parents, les voisins ou les amis) qui pourraient pallier leur moindre présence, garantir la sécurité et l’attention nécessaire pour ces enfants.

Il faut aussi être vigilant à d’éventuelles difficultés (tristesse, anxiété, trouble du sommeil, modification de l’alimentation, douleurs inexpliquées) chez les frères et sœurs d’enfants malades. Si de telles difficultés sont retrouvées vous pouvez prévenir les professionnels autour de vous (pédiatre, psychologue, pédopsychiatre) afin qu’ils puissent vous conseiller.

4. Questions/Réponses pour les sœurs et frères d’enfant/adolescent souffrant d’anorexie

# C’est quoi l’anorexie ?

L’enfant/adolescent qui souffre d’anorexie a des difficultés à s’alimenter suffisamment pour garder un poids suffisant pour son âge et sa taille. Il a aussi peur de prendre du poids et a souvent une perturbation de l’image de son corps. Il a très souvent des « pensées anorexiques », ce sont des pensées qui viennent toutes seules et qui sont le reflet du mal-être qu’il ressent (exemple : « je suis trop gros(se) ; mes cuisses sont énormes ; j’ai peur de grossir »).

# D’où vient l’anorexie ? Est-ce que c’est de ma faute ?

L’anorexie est une maladie complexe. Les causes sont multiples et il est difficile de les connaître toutes ! Les moqueries et les remarques entendues peuvent avoir jouées un rôle mais n’expliquent pas tout. Le manque de confiance/estime de soi et le besoin de contrôle peuvent aussi y participer.

Personne n’est responsable de cette maladie même si le plus souvent, tout le monde se sent un peu coupable.

# Pourquoi ma sœur ou mon frère ne s’amuse plus avec moi ?

L’anorexie change les comportements et les émotions. Elle/il reste plus souvent dans sa chambre, s’énerve plus vite, ne rigole plus et petit à petit ne veut plus jouer comme avant.

Il y a plusieurs explications à cela :

– Ne pas s’alimenter suffisamment fait que votre sœur/frère a moins d’énergie et est plus triste, il est donc plus difficile de jouer ou de rigoler.

– Il faut aussi imaginer que les « pensées de l’anorexie » viennent en permanence tourner dans la tête et du coup il y a moins de « place » pour penser à autre chose.

La bonne nouvelle c’est que lorsque l’on guérit, le comportement et les émotions peuvent redevenir comme avant. Il ne faut cependant pas perdre de vue que chacun va aussi grandir et que les relations fraternelles vont évoluer.

# Les mensonges sont-ils liés à l’anorexie ?

Cette maladie peut être responsable de comportements étranges. Elle peut amener la personne à cacher de la nourriture ou à se comporter d’une manière inhabituelle ou illogique. Un des symptômes de cette maladie est le besoin important de dépenser de l’énergie en faisant beaucoup d’activités sportives ou en restant debout. Les personnes qui souffrent de cette maladie ont surtout peur de prendre du poids. Tout peut être un prétexte pour se dépenser et cela peut créer des conflits avec les parents.

# Est-ce que je dois répondre aux questions que ma sœur me pose par exemple quand elle me demande si elle est grosse ?

Non il est important de continuer à avoir des échanges avec eux mais pas sur le sujet du poids. L’anorexie donne une vision déformée de son corps et donne des pensées illogiques et irrationnelles qui ne permettent pas d’avoir un échange constructif sur ces questions de la forme du corps ou de la silhouette.

# Comment aider ma sœur ou mon frère ?

Ce que vous pouvez faire de mieux finalement c’est de continuer à vous comporter comme avant et laisser les parents et les professionnels prendre en charge les repas et tout ce qui se passe autour de l’anorexie. Vous pouvez aider en essayant de maintenir une atmosphère conviviale lors des repas et proposer de jouer avec elle/lui notamment à des jeux de société. Il faut aussi exprimer ce que vous ressentez aux adultes qui vous entourent (parents, professionnels, professeurs), il y a aussi des solutions pour vous !

# Mes parents souffrent… Comment les aider ?

Tout le monde souffre de la situation et souvent les frères et sœurs veulent aider leurs parents. Plusieurs réactions existent : on a envie d’être parfait pour ne pas ajouter de l’inquiétude, on est très en colère, on veut donner des conseils, faire des remarques ou on préfère ne pas y penser. Toutes ces réactions sont normales. Ce qui est important de bien comprendre c’est que ce ne sont pas les frères et sœurs qui peuvent soigner l’enfant qui est malade. C’est le rôle des professionnels soignants qui sont aussi là pour aider les parents. C’est très important aussi pour les frères et sœurs de s’autoriser à continuer à vivre et à prendre du plaisir … C’est normal et autorisé de ne pas être parfait et d’avoir besoin d’un peu d’attention parentale aussi !

# Je me sens parfois triste et en colère…, que dois-je faire ?

Il est normal de ressentir de la tristesse, de la colère, de l’inquiétude et/ou de se sentir mis de côté. Si la décision d’une hospitalisation est prise il est aussi normal de se sentir soulagé et triste en même temps… puis coupable de se sentir soulagé parce qu’il est compliqué de se réjouir de l’absence d’une personne qui va à l’hôpital. Quel que soit l’émotion ressentie il est important d’en parler aux adultes (parents, professionnels, professeurs, …) pour mieux comprendre et être aidé. Les adultes sont là pour toi. Si tu as peur que ton frère ou que ta sœur ne sorte jamais de l’hôpital ou meurt, parles-en avec un adulte.

Il faut bien comprendre que l’anorexie est une maladie et que c’est contre elle que tout le monde doit se battre même s’il n’est pas toujours évident de faire la part des choses entre ce que la maladie fait faire et son frère ou sa sœur qui est malade.

# Que se passe-t-il à l’hôpital ?

La prise en charge de cette maladie consiste avant tout de réapprendre à manger en quantité suffisante et de façon variée pour reprendre du poids, c’est le travail des soignants et notamment des diététiciennes. Les infirmières, les éducatrices, les aides-soignants sont là pour accompagner au quotidien les enfants pour réapprendre à s’alimenter pour que ce ne soit plus la maladie qui dicte les règles des repas.

La grande difficulté de cette maladie c’est que la personne qui est malade a des difficultés à comprendre et accepter qu’elle est malade, ce qui explique que ce n’est pas facile de la soigner et que les soins peuvent être mal vécus. Il est plus difficile de vouloir guérir quand on pense que l’on n’a pas de problème. C’est le travail des psychiatres et des psychologues d’aider la personne à se rendre compte de la gravité de la situation pour le fonctionnement du corps mais aussi d’aider la personne à se sentir mieux psychologiquement.

# Pourquoi venir en thérapie familiale ou participer à des groupes de fratrie ?

Participer à quelques rendez-vous pour répondre aux questions que l’on se pose et aider à comprendre comment se comporter avec la personne qui est malade, cela te sera très utile. Les professionnels sont là pour vous soutenir et vous écouter car vous aussi vous souffrez de la situation !

# Est-ce que je peux en parler autour de moi ?

Il n’y a pas de honte à avoir un frère ou une sœur qui souffre d’anorexie. Malheureusement certaines personnes peuvent avoir des préjugés ou des idées fausses sur cette maladie et tenir des propos blessants. En parler d’abord en famille pour réfléchir ensemble aux personnes à qui en parler et à la manière d’en parler est une bonne option.

# Combien de temps cette situation va durer ? Est ce qu’on peut guérir de l’anorexie ?

L’anorexie est une maladie qui peut durer plusieurs mois ou plusieurs années. On peut guérir de cette maladie mais il faut s’armer de patience. Le chemin est souvent long et peut se faire parfois avec plusieurs étapes.

Conclusion

L’implication des frères et sœurs dans les soins est donc essentielle non seulement pour les relations familiales mais aussi pour la santé psychique des enfants eux-mêmes., pour qu’ils restent « bien portants », alors même qu’ils grandissent au sein d’une famille confrontée à une maladie qui dure de plusieurs mois à plusieurs années dont l’impact à long terme sur la famille n’est plus à démontrer.

Pour en savoir plus

Pour les adolescents :

Les bracelets rouges : une série pour mieux comprendre l’anorexie. Une adolescente Aurore souffrant d’anorexie a une sœur jumelle qui essaie de maintenir des relations fraternelles malgré le déni de sa sœur et son hospitalisation.

My skinny sister de Sanna Lenken qui raconte l’histoire d’une petite sœur qui admire sa grande sœur mais celle ci souffre d’anorexie.

L’anorexie ma sœur et moi de Salomé et Olivia : un livre écrit par deux sœurs (collection danger public, 2008)

Guide pour la fratrie d’un adolescent souffrant d’un trouble alimentaire de Simon Y, Simon-Baïssas I., Recherche – Action Fonds Houtman (ONE) – MIATA ; 2009, Téléchargeable sur : http://www.domaine-ulb.be/fr/departements-et-services/programme-anorexie-boulimie/ documentation.html.

Guide pour les jeunes frères et sœurs de Simon Y, Simon-Baïssas I., Recherche – Action Fonds Houtman (ONE) – MIATA ; 2009, Téléchargeable sur : http://www.domaine-ulb.be/fr/departements-et-services/ programme-anorexie-boulimie/documentation.html.

Pour les parents

La fratrie de l’enfant anorexique L. Noël, L. de Maynadier / Archives de pédiatrie (2014)

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